mardi 1 février 2022

Recrudescence de poulpes en Bretagne et raréfaction en Méditerranée

Il y a 10 ans, sur les étals d'un pêcheur côtier de Haute Normandie, figuraient quelques rougets parmi les soles, turbots, grondins, tombes, limandes et barbues habituellement pêchés. C'était la première fois que ce pêcheur ramenait dans ses filets des rougets-barbets (1), poissons jusqu'alors peu prisés des consommateurs locaux.

On attribua ces captures étranges au phénomène climatique formé par le courant marin el Niño dont les eaux chaudes remonteraient l'Atlantique pour atteindre la mer du Nord. Mais el Niño présente un caractère cyclique qui se produit tous les 7 ans, alors que les rougets-barbets continuèrent de garnir les filets des pêcheurs dans ces eaux océaniques réchauffées. Donc exit el Niño, ce qui me laisse à penser que ce phénomène, dû au réchauffement planétaire, se poursuivra encore et inexorablement dans les années à venir. 

Rougets barbets pêchés au Tréport en 2012

Cet hiver les pêcheurs bretons ont ramené dans les casiers à homards de gros poulpes communs (2) qui s'étaient nourris des crustacés piégés dans les nasses. Le nombre de homards, langoustes, crabes, mais aussi coquilles Saint-Jacques se trouva en baisse à l'approche des fêtes de fin d'année... mais les poulpes se pêchèrent à profusion !

Voici l'édifiant constat, sans compter le manque à gagner pour ces pêcheurs ! Cette fois la faute fut attribuée au réchauffement climatique et corollairement à l'élévation d'un tout petit degré de l'eau de mer en quelques années, venus s'ajouter aux effets du Gulf Stream (3).

Poulpes pêchés dans le Finistère en 2021

Dans une étude publiée en mai 2016 dans la revue Current Biology, des chercheurs australiens avaient observé que le réchauffement climatique, auquel s'ajoutait l'acidification progressive des océans, paraissait profiter aux céphalopodes comme les poulpes, les seiches et les calamars dont les populations se sont multipliées ces dernières décennies. 

Les pêcheurs craignent que l'élévation de la température de l'eau favorise le développement des juvéniles, car l'année écoulée, ce sont 17 tonnes de poulpes qui ont été pêchés contre une tonne l'année précédente. Malgré cette quantité importante, le poulpe - qui se vend en moyenne cinq euros le kilogramme - trouve preneur notamment à l’étranger car c’est un produit qui s’exporte essentiellement en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce.

Poulpe échoué en 2013 sur la plage de la Coudoulière (Six-fours-les-plages)

En revanche, l’animal est peu consommé en Bretagne, même si les restaurateurs les cuisinent à l’Armoricaine comme ils le font pour les seiches ou les calamars. Pour une bonne valorisation du produit, il conviendrait de trouver de nouveaux débouchés économiques pour le poulpe et apprendre à le cuisiner comme il est d'usage dans le pourtour méditerranéen.

Les poulpes ont peu de prédateurs. Citons les baudroies qui, camouflées, les avalent quand ils passent à proximité, et les gros bars qui gobent les jeunes individus. Généralement les grands poulpes échappent à la prédation car les carnassiers savent que les rôles peuvent s'inverser et qu'ils peuvent devenir la proie de ces céphalopodes aux puissantes mâchoires cornées en forme de « bec de perroquet » et aux tentacules (4) redoutables.

Poulpes capturés en pêche sous-marine dans les années 1980 et 2000 

Mais voilà, si le poulpe est pléthorique dans le sud de la Bretagne, il se fait de plus en plus rare en France méridionale. La cause : la surpêche - diront certains - surtout en période estivale avec un nombre accru de pêcheurs sous-marins en quête de proies faciles.

Pas si faciles, diront d'autres pêcheurs, surtout quand le poulpe se dissimule au fond d'un trou profond, ou qu'il crache un épais nuage d'encre noire pour faire diversion et disparaître de la vue de l'assaillant. Une autre théorie consiste à dire que la raréfaction du poulpe en Méditerranée est due à son prédateur naturel : le mérou, gros consommateur de céphalopodes. Sur Youtube circulent des vidéos montrant des mérous attaquant des poulpes.

Lors d'un championnat de Provence individuel de pêche sous-marine, j'avais assisté à la pesée d'un mérou. De son énorme gueule sortit un poulpe avalé par le poisson avant sa capture... N'en déplaise au GEM, les mérous, espèces protégées par différents moratoires de 1993 à 2023, consomment les poulpes dont la pêche en certains lieux est réglementée (5) et qui seront durablement protégés dans quelques années, comme l'ont été avant eux les grandes cigales de mer... dont sont justement friands les mérous.

Les murènes se nourrissent des gros poulpes dont elles arrachent les tentacules, jamais de l'individu entier. Ces tentacules coupés se régénèreront et fourniront d'autres repas aux murènes en échange de la vie du poulpe, telle est la loi de la nature !

Mérou tentant de capturer un poulpe

Depuis l'Antiquité, le poulpe a été un mets apprécié des fins gourmets. Les romains, les grecs et les carthaginois les capturaient au moyen d'amphores immergées, reliées entre elles par des cordages. Il y avait des saisons pour la pêche des poulpes. Du fait d'une pêche non intensive, les ressources n'étaient jamais épuisées.

Il faut admettre que la gestion du milieu halieutique et le maintien d'un écosystème responsable sont déjà compliqués à mettre en oeuvre en temps normal. Alors que penser quand dame Nature s'en mêle... d'autant plus que les phénomènes climatiques observés ne sont pas dus aux fruits du hasard, mais à l'augmentation des concentrations des gaz à effet de serre dans l'atmosphère (6) produits par les activités humaines !

Pêche des poulpes à l'amphore et à l'aide d'un trident (mosaïque de Tunisie)

Photos : RHP Collection.

Notes :

(1) Mullus barbatus appelés aussi rougets de vase, en opposition à Mullus surmuletus, les rougets de roche.
(2) Octopus vulgaris dont le nom vernaculaire "Poulpe" vient du grec "polupous" signifiant "pieds multiples".
(3) Chez Octopus (en latin : "huit pieds") le nombre de tentacules est donc de 8. Ces tentacules de longueurs égales possèdent deux rangées de ventouses munies d'organes sensoriels.
(4) Le Gulf Stram est un courant océanique chaud de surface qui part de Cuba, longe la côte des USA et remonte vers l'Atlantique nord où il se partage en trois bras. Un bras va jusqu'en Islande, un autre contourne les îles britanniques pour se perdre en mer du nord et le dernier bras touche la Bretagne.
(5) Dans le parc marin des Calanques, il est interdit de pêcher le poulpe en chasse sous-marine du 1er juin au 30 septembre. En dehors de cette période, les prises sont limitées à 3 individus par pêcheur.
(6) particulièrement du dioxyde de carbone dont le niveau a augmenté de plus de 40 % dans l’atmosphère en à peine 150 ans.

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