mardi 1 mars 2022

Ophisurus serpens, le serpent de mer

Il s'agit un article que j'avais écrit en 2002 - donc il y a 20 ans - pour le site internet de "Chasse sous-marine en Provence" et intitulé " Les serpents de mer ont-ils envahi le plateau continental (1) ? ".

Si je le publie sur le Blog de la Coudoulière, c'est qu'il est toujours d'actualité, comme le confirme le témoignage d'Isabelle BERGERON : "Le 19 novembre 2021, dans la baie de Cabasson (Bormes-les-mimosas), à 500-600 m du bord maxi, profondeur d'eau peut-être 10 m, assez translucide, la bestiole était à 3-5 m de profondeur. J'étais en Stand Up Paddle et j'ai vu un reflet bizarre qui tortillait/serpentait sur place. Je me suis rapprochée un peu car cela m'intriguait. Je croyais voir une corde d'abord, mais ça ne bougeait pas avec le courant et une corde ne serpente pas toute seule sur place sans quelque chose qui provoque ce mouvement, ni se remet tout droit toute seule. J'ai compris que ce n'était pas qu'un reflet et en plus c'était vivant. Pas pu distinguer de tête, l'animal était épais de 5-6 cm, longueur, ça me semblait être 5 m, mais bon, là-dessus je peux me tromper et puis je n'ai pas pu continuer à observer car ça se dirigeait vers moi en prenant de la vitesse. Je n'ai jamais ramé aussi vite de ma vie !"

C'est bien un Ophisurus serpens qu'Isabelle a vu de son Paddle, même si le poisson nageait entre deux eaux pendant ses déplacements. Quant à l'appréciation de sa longueur, on peut diviser par deux à cause des oscillations qui donnent l'impression que l'animal est plus grand. 

Autre témoignage de Pascal en date du 24 juillet 2018 m'informant qu'en 30 ans de pratique de la nage avec palmes, masque et tuba, c'était la première fois qu'il apercevait au Rayol-Canadel sur mer, par 3 mètres de fond seulement, un Ophisurus serpens. Une rencontre assez surprenante en si faible profondeur qu'il a tenu à partager, ce dont je l'en remercie.

Des recherches sur Internet m'avaient permis d'identifier ce poisson comme étant un serpent de mer, appelé également serpent de sable, serpenton à long nez ou anguille des profondeurs, et que c'était une espèce marine de poissons anguilliformes de la famille des Ophichthidae. Selon un site espagnol, il vivrait habituellement entre 500 et 2450 mètres de profondeur, faisant des excursions dans des zones allant de -10 à -400 mètres.

Sa reproduction a lieu de juin à septembre. On le rencontre en Atlantique est, de la péninsule ibérique à l'Afrique du sud, dans l'ouest de la Méditerranée, dans l'ouest de l'Océan Indien, du Mozambique à l'Afrique du sud, et dans le Pacifique ouest, du Japon à l'Australie. En Italie, on en a identifié dans les substrats de la lagune de Venise, et en Australie, derrière la barrière de corail... donc dans des lieux très diversifiés, pourvu que la nourriture soit abondante, et que le sol soit assez meuble pour permettre l'enfouissement du corps à reculons, grâce au rostre terminal de sa queue.

Les serpents de mer ont-ils envahi le plateau continental ?

C'est la question qu'on est en droit de se poser après avoir constaté, au fil des ans, des captures de ce poisson de plus en plus près des côtes. La première fois que j'ai pêché un Ophisurus serpens, c'était entre le cap Sicié et la pointe du Cap Vieux, le mercredi 2 octobre 2002. Je cherchais des soles sur la partie sablonneuse, au delà des dernières pierres, car j'avais aperçu des empreintes de poissons plats après m'être égaré à la poursuite d'un banc de marbrés. Lors des demi-plongées, ce que je pris pour une cannette de bière renversée par douze mètres de fond, était en fait un poisson non répertorié, enfoui dans le sable, dont seule la tête émergeait d'un creux en forme d'entonnoir.

Ophisurus serpens dont le corps est enfoui dans le substrat

Je m'approchai de ce poisson inconnu et tirai à la base du crâne pendant qu'il esquissait un recul. La moitié de la flèche disparut dans le sable. C'est en tirant sur le fil nylon que je vis la bête dans son intégralité : un serpent de mer entièrement déployé, de couleur beige sur le dos et blanche sur le ventre, d'une longueur de 2,20 mètres, qui gigotait au bout de la tahitienne. Une bouche largement fendue, un peu comme la murène, mais avec des dents plus fines et un museau assez long et effilé. Quand au diamètre du corps, il n'excédait pas les 6 centimètres dans sa partie la plus large et son poids avoisinait les 2,5 kg.

Ophisurus serpens enroulé dans l'évier

En France, on a pêché ce poisson à Cannes par 35 mètres de fond et à Carro par 30 mètres. Je suis allé sur le site de Christian COUDRE. Ce qu'il a écrit sur les Ophisurus serpens, qu'il appelle anguilles des profondeurs, corrobore les observations recueillies sur le Net. "Un spécimen d'Anguille des profondeurs, de la famille des Ophichthidae, a été signalé par Stéphane PUGNETTI (Cannes). Pêché au large de Cannes par 35 mètres de profondeur sur un sédiment sablonneux, ce poisson de 2 mètres de long pesait environ 2 kg. Ces Anguilles marines font partie de la faune abyssale. Des spécimens ont été ramenés lors de prélèvements effectués au delà du plateau continental, jusqu'à plus de 1000 mètres de profondeur. L'absence de végétaux n'y laisse pour nourriture que le monde vivant lui même. Les poissons des grands fonds sont pour la plupart de féroces prédateurs et ont des formes très étranges, presque irréelles. Leur bouche est souvent disproportionnée, de grandeur démesurée leur permettant d'absorber des proies de taille égale, voir supérieure à la leur. Le fait de rencontrer de telles espèces sur le plateau continental n'est pas vraiment surprenant et n'est pas forcément le fait d'un égarement. La faune abyssale, encore mal connue, a aussi des raisons de migrer vers des lieux où les paramètres biologiques correspondent aux conditions vitales de leur reproduction et ainsi au maintien de l'espèce."

Je suis allé au Muséum d'Histoire Naturelle de la ville de Marseille. Un Ophisurus serpens d'environ 2 mètres y est naturalisé. Vu l'état et la méthode de conservation employée, il doit dater de plusieurs dizaines d'années. Le nom français qui lui a été attribué à l'origine est serpent de mer.

Le mardi 15 octobre 2002, deux semaines après la capture de l'anguilliforme, et juste avant l'interdiction de pêcher qui va du 1er novembre au 31 mars, je suis retourné au même endroit. Par dix mètres de fond, j'en ai aperçu deux qui gitaient à 3 mètres l'un de l'autre. Je ne les ai pas pêché car leur chair est immangeable. Le tronçon, coupé dans la partie haute du corps, que j'avais cuisiné était bourré d'arêtes, et côté gustatif, la chair au demeurant blanche et fine, était de saveur fade.

Le samedi 19 avril 2003, donc 6 mois plus tard, je revins sur les lieux, et malgré l'absence d'ensoleillement (il avait plu ce jour-là), j'en ai vu un, ce qui confirme que les Ophisurus serpens ne sont pas venus sur le plateau continental uniquement pour frayer, ce qu'on pouvait être en droit de supposer, vu le manque d'informations que nous possédions sur ce poisson. Cette fois-ci je l'ai pêché, car j'ai estimé que ce redoutable prédateur pouvait créer un déséquilibre biologique dans les lieux qu'il s'est mis en quête d'investir. Il mesurait 2 mètres pour un poids de 2,3 kg.

Ophisurus serpens dans toute sa grandeur

Je me suis souvenu que, quelques années auparavant, en cherchant des favouilles (2), à 60 cm de profondeur, dans la partie sablonneuse plantée de posidonies entre l'île du Grand Gaou et l'archipel des Embiez, deux anguillons d'une vingtaine de centimètres étaient passés sous mon corps et s'étaient ensablés. Ce n'est que bien plus tard que j'ai fait le rapprochement entre ces étranges anguillons et les serpents de mer adultes, preuve inéluctable que ces poissons quittent les profondeurs pour venir frayer dans la bande littorale.

Si vous aussi avez rencontré cet étrange poisson venu des fonds abyssaux, venez apporter votre témoignage à cet article en y laissant un commentaire.

D'autres informations sur l'Ophisurus serpens sont disponibles sur le site de "Chasse sous-marine en Provence", aux rubriques "Poissons de A à Z" et "Autres poissons de la Galerie de photos".

Notes :

(1) Le plateau continental, appelé aussi plate-forme continentale, est le prolongement du continent sous la surface de l'océan. Il est  recouvert de sédiments terrigènes provenant de l'érosion des continents et descend plus ou moins doucement jusqu’à environ 200 mètres de profondeur. Au delà c’est le talus continental qui descend brusquement jusqu’à la plaine abyssale qui s’étend à environ 2000 à 2500 mètres de profondeur.

(2) La favouille est le nom donné en Provence à Carcinus mœnas ou crabe vert.

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