jeudi 5 mars 2015

Sirènes, mythe ou réalité ?

Au début des années 1950, le géologue Jean Fontana, originaire de Haute Provence, trouva à Digne des squelettes pétrifiés correspondant aux spécimens connus sous le nom scientifique d'Hydropitecus. La morphologie de ces squelettes avaient une grande ressemblance avec celle des sirènes décrites dans la mythologie. Fin août 2002, en vacances à Digne, j'avais moi-même photographié sur la voûte d'une grotte, les ossements pétrifiés d'un sirénéen qu'avait observés, un demi siècle auparavant, le célèbre géologue.

Ossements pétrifiés d'hydropithèque (Digne, 2002)
Par la suite, Fontana poursuivit ses recherches aux environs de Sanary-sur-Mer, y localisant un specimen d'hydropithèque ou "singe des mers" qui aurait peuplé les océans il y a 18 millions d'années. "Il est certain que cette étonnante découverte paléontologique, si elle est vérifiée, va bouleverser toute la théorie de l'Evolution !", pouvait-on lire sur un article publié en 2012 sur le site "Sanary.com".

Ce fut à la demande d'un paléontologue et plongeur amateur local que Fontana réalisa des fouilles subaquatiques à l'est de l'île du Grand Rouveau. Avec l'aide des plongeurs professionnels de Sanary, il réussit à documenter les restes fossilisés d'un extraordinaire exemplaire d'hydropithèque. Cet événement exceptionnel suscita l'enthousiasme du photographe Joan Fontcuberta qui immortalisa sur la pellicule cette incroyable découverte.

Joan Fontcuberta - restes d'hydropithèque (le Grand Rouveau, 2012)
Les sirènes, ces êtres que l’on pensait légendaires, seraient-elles le chaînon manquant entre l’homme et les mammifères marins ? A partir de cette hypothèse, Joan Fontcuberta conçut autour de ce thème un dispositif artistique tout entier dévolu à la falsification et à la mystification.

Pourtant des momies de sirènes sont conservées dans certains musées européens et temples asiatiques. Au Temple de Zuiryuji (Osaka) est exposée une momie de sirène offerte au Temple en 1682 par un marchand de la région de Sakaï. Une autre momie, conservée au Temple de Myouchi, à Kashiwazaki, dans la région de Niigata, ne mesure que 30 cm de long. Elle est dans une posture étrange, les mains levées au niveau du visage. Cette posture se retrouve d'ailleurs chez plusieurs momies de sirènes conservées, sans qu'on ait la moindre explication la concernant.

Momies de sirènes
Au Temple de Karukayado, à Hashimoto, dans la région de Wakayama, il y a une momie de sirène mesurant 50 cm. Elle possède des dents pointues qui lui sortent de la bouche, et comme la précédente, elle lève ses mains. On peut observer des écailles sur le bas du corps et des lambeaux de nageoires sur le torse, ainsi que des protubérances pouvant rappeler des seins.

En Europe (Angleterre, Italie, Belgique) plusieurs momies de sirènes sont détenues par des collectionneurs privés ou ont été exposées dans des muséums d'histoire naturelle, tels le musée Stracké Mariakerke à Ostende, en Belgique.

Sirène - musée Stracké Mariakerke d'Ostende (Belgique)
En me documentant sur le WEB, j'ai découvert l'existence de canulars, comme la photographie d'un squelette humanoïde affublé d'une queue de poisson, laissant imaginer qu'il s'agit d'une sirène. Un court texte accompagne la photo : "Un ancien squelette de sirène, datant d'il y a huit millénaires, a été trouvé en Bulgarie, près de la plage de Sozopol, par le professeur Dimitrov". En fait il s'agit un trucage. La photo originelle représentait un squelette humain découvert lors de fouilles archéologiques en Irlande. Un internaute remplaça les membres inférieurs par une queue de poisson, ajouta un homme accroupi prenant la pose, puis dégrada la qualité de l'image pour rendre le trucage moins décelable.

Squelette de sirène ou canular ?
A noter qu'il existe une maladie fœtale grave appelée sirénomélie, qui se traduit par la fusion des membres inférieurs, rappelant la sirène dans l'imaginaire collectif, c'est-à-dire avec une queue de poisson. Il va sans dire que les os des membres inférieurs de ces nouveaux nés sont ceux d'êtres humains et non ceux d'un sirénien !

Nouveaux nés atteints de sirénomélie
A l'origine, les sirènes étaient des créatures de la mythologie grecque, dont le chant envoûtant attirait les marins, amenant ainsi leurs navires à se fracasser sur les récifs. D'après la tradition suivie par le récit homérique de l'Odyssée, il s'agissait de divinités de la mer postées à l'entrée du détroit de Sicile, sur l'île d'Anthémoessa, non loin des monstres Charybde et Scylla.

Deux héros parvinrent pourtant à leur échapper. Le premier, Jason, accompagné de ses valeureux Argonautes, échappa au pouvoir des sirènes grâce à Orphée, dont la voix puissante couvrit leurs propres chants ! Suite à cet échec, les sirènes se changèrent en rochers... Une autre fin de ce récit dit que vexées par la ruse d'Orphée, les sirènes se jetèrent dans les flots où elles périrent.

Gravure représentant Jason et les Sirènes
Le second héros, Ulysse, suivant les conseils de la magicienne Circé, arriva à passer sans dommage l'île des sirènes. Il ordonna à ses compagnons de se boucher les oreilles avec de la cire d'abeille, pendant que lui se faisait attacher au mât de son bateau, oreilles non bouchées. Ainsi il eut le privilège d'écouter, mais sans y perdre la vie, le chant mélodieux des sirènes !

Ulysse et les Sirènes - peinture de Herbert Draper
Les représentations de ces monstres mythiques diffèrent selon les récits. Dans l'antiquité elles étaient décrites comme des êtres ailés à buste de femme et aux pattes d'oiseaux, qui attiraient les marins par la beauté de leurs chants, afin de les dévorer. Ces monstres n'avaient évidemment aucun rapport avec les sirènes telles que Christian Andersen les voyait.

La petite sirène de Copenhague
D'autres récits décrivent des sirènes à tête et à buste de femme se terminant par une queue de poisson : ce sont les nymphes de la mer, filles du dieu-fleuve Achéloos (ou encore de Phorcys) et d'une Muse. On les apercevrait à la surface de l'eau ou bien peignant leurs longs cheveux, assises sur un rocher. Dans ces contes, elles prédisaient l'avenir, faisaient don aux hommes de pouvoirs surnaturels ou tombaient amoureuses des marins qu'elles emmenaient au plus profond de la mer.

La sirène mythique, dévoreuse d'hommes
La découverte par les occidentaux de mammifères aquatiques tels que le lamantin ou le dugong, que l'on a précisément appelés siréniens, a pu donner une nouvelle consistance au mythe. Chez les siréniens, la vulve s'ouvre en effet ventralement et les mamelles sont en position pectorale, comme chez la femme. La queue aplatie dans le plan horizontal, comme celle des cétacés, aurait pu suggérer une queue de poisson. Tous ces éléments ont très certainement pu alimenter le vieux mythe de la femme-poisson. Ainsi, lorsque Christophe Colomb observa pour la première fois des lamantins d'Amérique, il fit remarquer que ces "sirènes" n'étaient pas aussi belles que celles de la légende !

Sirène et sirénien (dugong) nageant côte à côte
On retrouve également les sirènes dans la mythologie nordique où elles portent le nom de Havfrues. Elles ont un torse de femme et une queue de poisson. Il en existe de bonnes comme de perfides, mais elles ont toutes un point commun : la beauté. Au plus clair de l'été, quand une légère brume de chaleur se forme sur l'horizon marin, on peut découvrir une Havfrue assise à la surface des eaux, lissant sa longue chevelure avec un peigne d'or. On dit que ces sirènes, qui sont très frileuses, viennent se réchauffer la nuit auprès des feux allumés sur le rivage par les pêcheurs. Leur but inavoué est d'entraîner les hommes qu'elles ont séduits dans leurs repaires sous-marins.

Statue en bronze de sirène (port de Santander, Espagne)
A ceux qui ont refusé leur amour ou résisté au désir de les suivre, elles jettent des sortilèges. Cela peut se traduire par filets déchirés, poissons pourrissants, tempêtes terribles et naufrages funestes... et quand un marin disparaît en mer, on dit qu'il a été emporté dans les demeures des Havfrues. Dans la mythologie babylonienne, Atergatis, déesse de la lune, fut dotée d’une queue de poisson parce qu’elle représentait le pendant féminin d’Oannès, le dieu-poisson émergeant de la mer d'Erythrée. Tout comme lui, elle sortait de l’océan pour y retourner au terme d'un long périple à travers le ciel nocturne. Elle devait donc également avoir une nature amphibie, moitié humaine, moitié poisson, avec cette différence qu'étant femme elle devait être à la fois moins vigoureuse mais plus mystérieuse qu'Oannès. Ce fut sans doute ainsi que naquit à Babylone la première déesse à corps de poisson.

Statue en bronze de sirène bicaudale (Metropolitan Museum de New-York)
Au fil du temps ses atouts féminins s'amplifièrent au rythme des légendes : beauté, vanité, orgueil, cruauté, charme... tant et si bien qu'Atergatis et clones que l'on rencontre dans diverses mythologies forment une ascendance fort acceptable pour les sirènes des époques qui suivirent. Même en Thaïlande et au Cambodge, il existe dans l’épopée de Rama, un épisode entre Hanuman, le dieu singe, et Suvannamaccha, une sirène dorée, princesse de son état, ce qui lui vaut d'être parée d'une couronne, de bijoux et de vêtements brodés de fils d'or.

La sirène Suvannamaccha et le dieu singe Hanuman
Dans l’ornementation de l'art roman moyen-âgeux, la sirène signalait la présence de forces telluriques, comme l’existence d’un courant aquatique souterrain. Le bestiaire médiéval associait la sirène aux créatures marines décrites par les navigateurs et peuplant l'imaginaire.

Le bestiaire médiéval des créatures marines
Dans la littérature cléricale, la sirène médiévale renvoie à l’image de la tentation à laquelle il convient de résister pour préserver la chasteté et la pureté de l'âme ! Il existe une certaine affinité entre Mélusine et la Vouivre, toutes deux sorties des entrailles de la terre. De même, on pourra trouver des similitudes entre Mélusine et la Fée Morgane, ou encore la Dame du Lac, chère aux Chevaliers de la Table Ronde. Qui ne connaît la légende de Mélusine ? C'est l'histoire d'une fée d'une beauté merveilleuse qui promit à Raimondin de faire de lui un roi s'il acceptait de l'épouser, à condition de ne jamais la voir un samedi. Raimondin ne put s'empêcher de regarder par un trou percé dans le mur Mélusine qui, un samedi, s'était retirée dans sa chambre et s'était muée en serpent. Mélusine, trahie, s'envola à tout jamais en clamant sa peine par des cris effroyables.

La légende de la fée Mélusine
J'ai beaucoup plongé en différents spots de la mer Méditerranée. J'ai éclairé avec ma lampe-torche des failles au fond desquelles se cachaient mostèles, congres et murènes. J'ai pénétré dans des grottes sous-marines fréquentées par des mérous. J'en ai visité d'autres habitées par des langoustes et devant lesquelles évoluaient des castagnoles rouges...

Melissa la sirène évoluant parmi des anthias
Mais je n'ai jamais rencontré de sirènes... sauf peut-être dans mes rêves, nageant gracieusement au clair de lune, parmi des poissons multicolores, dans des lagons limpides aux reflets changeants...

10 commentaires:

  1. Excellent travail de recherches sur le mythe des sirènes, agrémenté de photos choisies et de bonne qualité, comme d'hab...

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  2. l'Hydropithèque de Sanary découvert au Grand Rouveau n'a jamais existé. C'est un canular !!!

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  3. Cette annonce faite en juin 2012, lors de l'expo PhotoMed qui eut lieu au Musée Frédéric Dumas de Sanary, eut le mérite d'avoir fait fantasmer pas mal de gens. Même le maire de Sanary, avec un petit sourire malicieux, proposa de rebaptiser sa ville sous le nom de Sanary-les-sirènes. C'est tout dire de l'ambiance festive qui régnait à l'époque autour de cette mystification locale !!!

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  4. très bon travail j'adore merci

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  5. En fait toute cette histoire est née au centre du monde.
    C'est un endroit appelé Martinique.
    Précisément entre Saint-Luce et Lamentin.
    Je vous raconterai tout si il y a place pour assez de mots.
    On garde le sourire.
    Effectivement très bons travail...

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  6. Voilà une histoire de mer,
    C'est souvent de là que coule ma source
    Et l'idée que le centre du monde est chez nous
    Ne peut être démentie du tout
    Car si est infini l'univers
    Son centre est partout
    Cela coule de source


    Né d'une sirène abandonnée

    C'est une sirène abandonnée
    Qu'avait trouvé un beau marin
    D'un rayon de soleil égaré
    Qui longtemps avait pleuré
    Au point d'inonder la vallée
    Entre Saint-Luce et Lamentin
    Toute cette histoire était née

    De cette histoire sans queue ni tête
    Avait été créé un être
    Qui impossible à reconnaître
    Dans ses larmes s'était plongé
    Là une dame d'une grande beauté
    Lui a dit mon corps je vous prête
    Mais survint un garde champêtre
    Qui à moitié les arrête

    Voici notre être démembré
    Plongeant dans les flots démontés
    Que lui même avait créé
    Ainsi que des animaux par millier
    L'un poisson cœur arrêté
    Car tant dévoué par bonheur
    Céda sa partie inférieur
    Pour compléter ce qu'avait laissé
    Le garde champêtre de la belle liée

    La belle au nom personnifié
    Donna à l'être sa beauté
    Et sur l'eau le souffle coupé
    Le beau marin l'a retrouvé
    C'est bercés par une ondée
    Que tous deux ont enfanté
    Six reines de suite dispersées
    Jusque dans la mer Égée

    Depuis aux marins ce qui sied
    Ce sont les six reines sans pieds
    A leur vue coupé sifflets
    Tant cette lignée leur plaît
    Ainsi la légende est née
    Qui dit qu'entendre siffler
    Voit les marins égarés


    Qu'entendre siffler
    Les six reines nées
    D'une sirène abandonnée
    Qu'avait trouvé un beau marin
    Rayon de soleil égaré
    Qui longtemps avait pleuré
    Au point d'inonder la vallée
    Entre Saint-Luce et Lamentin
    ...

    Et on chanta sous les ondées
    Avant que vienne l'idée
    Très rapidement validée
    Dans les bouches
    Que sous la douche
    Comme sous l'ondée
    Les marins devaient siffloter
    Avant de partir voguer
    Sur mer sans se faire piéger

    On en vint à les imiter
    Sans savoir que ça a commencé
    Par l'histoire sans queue ni tête
    Qu'on raconte depuis jour de fête
    Celle d'une sirène abandonnée
    Qu'avait trouvé un beau marin
    Rayon de soleil égaré
    Qui longtemps avait pleuré
    Au point d'inonder la vallée
    Entre Saint-Luce et Lamentin

    YomemoY

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    1. Au fait si le garde champêtre intervient avant d'avoir pu être créé, c'est parce que...

      Ils ont tué le temps

      Je l'ai vu en cauchemar
      Dans un rêve de cent ans
      Un rêve sans tôt ni tard
      A l'avenir sans plan...

      Ils ont tué le temps
      Je voulais le conter
      Mais ça n'a pas duré
      Réveillé sur le champ

      Puis comment mesurer
      Sans temps pour le savoir
      Vous seriez atterrés
      Croyez moi à le voir

      Vraiment une grande pagaille
      Et du monde où qu'on aille
      Trisaïeule et grand frère
      Se croisant sans repère

      J'ai connu le big-bang
      Marché dans le soleil
      Et une foire sans pareille
      Sans que rien ne tangue

      Mais ne puis le conter
      Pas eu assez de temps
      Pour me remémorer
      Ce fut si palpitant

      YomemoY

      Et sans vouloir vous inonder
      Je dois vous préciser
      Que n'étaient pas pompier
      Et donc sans sirènes
      Ceux qui ont pris cette peine

      Heu la peine de tuer le temps


      Ah ce que l'on prétend

      Tant de gens s'ennuient
      Qu'il leur faut un passe temps
      afin de tuer le temps
      D'autres bien plus actifs
      Suppriment les temps morts
      Et voient les jours qui fuient
      Sans pouvoir sur leurs sorts
      Un jour dans une manif
      A cause des contretemps
      Gênant de temps en temps
      Ils se sont réuni
      Et là ils ont ourdit
      Un projet palpitant
      Pour faire la peau au temps
      Aurait t-il réussit
      Rien ne l'aurait dit
      Sans temps pour vérifier
      Que le temps est bien tué
      Yomemoy

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  7. Merci YomemoY pour ce très beau poème sur la sirène abandonnée entre Sainte-Luce et Lamentin, qui me fait penser à Manman Dlo, la sirène qui faisait qui faisait chavirer les barques des marins... à défaut de faire chavirer leur coeur.

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  8. Renseignez vous sur les sirènes d'Annecy. L'hydropitheque a été découvert la bas.

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  9. Merci pour cette info sur l'hydropithèque du lac d'Annecy, œuvre paléonto-fictive de Joan Fontcubert venue alimenter le mythe des sirènes. Cette reconstitution d'un fossile censé appartenir à une espèce entre les hominidés et les siréniens, est exposée au Musée d'Annecy pour rappeler la légende de la Dame d'Angon.

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